Concilier l'âme du Paysan et l'esprit du Commerçant
La 4L d'Agrovadrouille s’est arrêtée cette semaine chez Bertrand Roucou, un agriculteur picard qui cultive, élève mais qui a aussi beaucoup tourné son esprit autour du commerce, un atout quand on fait du circuit-court.
Plongez avec nous au cœur d’une véritable vie de “paysan-commerçant”, à la fois axée sur la terre mais aussi autour des canaux de vente de ses produits.
Si tu as 30 secondes..
S’il fallait résumer le modèle agricole de Bertrand Roucou autour d’un mot, ce serait “diversité”. À la fois dans les productions qui vont des œufs aux asperges en passant par le bois d'œuvre, mais aussi dans les manières de les vendre : livraison, magasin à la ferme, marché, drive etc…
Betrand est un homme aux milles idées qui se donne les moyens de les concrétiser et qui préfère, sans mauvais jeu de mots, ne pas mettre tous ses œufs dans le même panier pour pouvoir vivre de son métier.
En continuant à nous lire, tu découvriras comment Bertrand réussit quotidiennement à allier son métier de paysan à celui de commerçant. Tu exploreras ensuite les diverses méthodes agricoles de la ferme, qui s'ouvrent chaque année à de nouveaux horizons pour perdurer.
Si tu as 5 minutes..
Un agriculteur pas comme les autres
Si aujourd’hui les agriculteurs ont bien souvent une image d’isolés sociaux, qui passent leur vie seuls dans leur tracteur, Bertrand Roucou en est un très bon contre exemple. Animé par une fibre commerçante sans égale, véritable atout quand on fait de la vente directe, le paysan consacre une grande partie de ses journées à interagir avec les consommateurs, une activité qui revêt une importance capitale à ses yeux.
Mais où alors ?
Tu t’en doutes mais Bertrand ne croise pas ses clients au milieu de ses champs. En fait, chaque semaine Bertrand vend lui-même ses produits à travers différents canaux de distribution. Le premier c’est son propre magasin, à la ferme. Il l’ouvre tous les vendredis, de 16 h 30 à 19 h. Un magasin qui lui permet de vendre sa marchandise à une clientèle très locale que Bertrand, aussi appelé “Beber” par ses clients, connaît par cœur. Ensuite il se déplace également 2 fois par semaine en ville, à Amiens (~30 km). D’abord le jeudi où il vend ses légumes lors d’un marché proposant produits locaux, concerts et un espace bistro/resto, puis le samedi où l'agriculteur retrouve aussi son stand au marché hebdomadaire d’Amiens. Deux marchés très urbains où l’agriculteur peut proposer ses produits à une clientèle plus large. Enfin, le dernier canal de distribution c’est les restaurants locaux que Bertrand livre aussi chaque semaine. C’est du circuit ultra court !
Magasin à la ferme de "Beber"
“La vente directe, ça me tire vers le haut pour produire de la qualité”
Bertrand vend tout lui-même, ce qui veut aussi dire que c’est lui qui reçoit les critiques sur ses produits. Qu’elles soient négatives ou positives, c’est assurément un moteur pour produire de qualité. La qualité, un critère primordial pour Bertrand qui fait de cette dernière, un axe central de son agriculture. Pas question pour lui de vendre un produit qui ne le satisfait pas !
“J’ai jamais eu envie de dépendre des autres”
La “dépendance”, en voilà un enjeu central en agriculture. Aujourd’hui une grande majorité des agriculteurs sont “dépendants” du marché et notamment dans de grosses productions comme les céréales où le lait. En fait, en vendant la totalité de leur production aux grandes industries agroalimentaires ou à des coopératives, les agriculteurs ne fixent pas leurs prix. Ils sont fixés par des forces extérieures telles que les marchés mondiaux. Une situation parfois confortable quand tout va bien mais qui l’est beaucoup moins par exemple si le cours du blé chute. Une volatilité risquée qui malheureusement est responsable de nombreux problèmes tels que la faillite ou pire parfois...
Mais ce n'est pas le cas chez Beber ! (hors céréales) Du moins, pas totalement. L’agriculteur vend 75 % de ses œufs à un industriel et 25 % en vente directe. En moyenne 4000 œufs par jour, faut les écouler ! À noter que les 25% d'œufs en vente directe lui rapportent autant que les 75 % chez l’industriel. Encore un chiffre qui nous a fait réfléchir et qui nous motive davantage à changer nos habitudes de consommation.
Mais revenons à nos moutons, ou plutôt à nos poulets. Car comme pour tout le reste, c’est de la vente directe ! Que ce soit poulets, fraises ou même asperges, Bertrand vend tout lui-même. C’est donc lui qui fixe ses prix et franchement 8,50 €/kg le poulet fermier, ça vous choque vous ?
“J’aime ça mais c’est du boulot..”
Comme le dit ici Bertrand, vendre c’est une partie essentielle de son métier. Aimant discuter et interagir avec les gens, ces échanges lui assurent des liens sociaux auxquels bon nombre d'agriculteurs n’ont pas le droit. Mais il ne faut pas se leurrer, vendre soit même, c’est exigeant ! En plus des 3 créneaux de vente qu’il faut assurer toutes les semaines, il faut les préparer, livrer les restaurateurs, répondre aux multiples coups de téléphone et bien plus encore.. Bertrand nous a d’ailleurs confié que la vente représente en moyenne ~50 % de son temps de travail. Pas facile quand il faut également exercer le métier d’agriculteur !
En restant avec nous, tu découvriras d'ailleurs en quoi la diversité de productions sur la ferme de Bertrand nourrit sa force de vente et lui permet de vivre de son modèle.
5 petites minutes de plus ?
Pour résumer, le picard est installé sur environ 200 ha sur lesquels il produit céréales, volailles, œufs, fraises, asperges et autres fruits et légumes !
“Si j’ai voulu être paysan, c’est pour la diversité de métiers que ça t’offre”
Comment le contredire quand on voit la diversité de ses productions. Beber il fait un peu de tout et c’est ce qu’il aime ! Depuis son installation dans les années 90, Bertrand a toujours juré par la diversité, synonyme pour lui de stabilité économique mais surtout d’éclate ! Il aime pouvoir dans une journée désherber les fraises, nourrir ses volailles, semer son colza et tailler ses arbres.
La diversité c’est précieux !
Cette pluriactivité, elle est précieuse et elle l’a sauvé plus d’une fois. Ce qu’on a pas dit c’est que Bertrand faisait aussi des cochons auparavant. Cela représentait une bonne partie de son chiffre d'affaires et un beau jour le marché s’est écroulé en France avec la disparition de naisseurs (entreprises qui mettent en marché les porcelets pour l’engraissement). Ce coup d’arrêt aurait pu être fatal pour l’agriculteur mais heureusement, à l'époque, déjà engagé en volailles et en maraîchage, Bertrand a réussi à s'en sortir grâce à cette diversité. Faire un peu de tout, c’est donc se protéger des aléas du marché ! Faire un peu de tout c’est aussi très important quand on a un magasin fermier ! Et oui, Beber diversifie son offre et attire ainsi plus de monde car rares sont les gens qui se déplacent pour aller acheter son poulet au point A, ses asperges au point B et vous avez compris l’idée quoi. Beber, il résout ce problème ! On comprend avec cet exemple que la diversité est précieuse économiquement, mais elle l’est aussi techniquement. En effet, les déchets organiques de l’atelier volailles permettent à Bertrand de produire jusqu’à 100 tonnes de fientes de volailles qu’il peut ensuite épandre dans ses champs pour fertiliser ses cultures. Une belle économie par ailleurs !
Les poulets fermiers du magasin de Bertrand
Un peu partout c’est risquer d’être un peu nulle part !
Bertrand le confie, la diversité c’est pas évident mentalement et techniquement ! N’étant que 2 sur la ferme, lui et sa salariée Nathalie, il est bien obligé de sacrifier un atelier pour un autre parfois. Il admet manquer de temps pour s’occuper des cultures par exemple. Aujourd’hui, ce manque de temps lui coûte alors que selon lui, si une personne prenait en charge la partie culture, il estime que cela pourrait lui apporter 100 euros par hectares soit quasi 20 000 € TTC ! On dit pas non non ? Pour pallier ce manque de temps, Bertrand a ses petites astuces, il utilise la nature. Depuis le début, il s’inspire de la nature et de son fonctionnement pour faciliter sa production, c’est un peu ce que certains appellent la TBI.
La TBI, travailler moins pour gagner plus !
“C’est quoi ce mot encore les gars ?” Promis, on arrête les acronymes ! C’est TBI pour Technique biologique intégrée ! L’idée c’est un peu à la manière du BIO, de laisser faire la nature dans le processus de production d’une culture. Par exemple, Bertrand installe pas mal de perchoirs dans ses vergers afin de faciliter la venue de rapaces qui s’occupent eux-même de limiter les ravages des rongeurs. De la même manière, il introduit des acariens dans ses serres afin de limiter les dégâts des pucerons sur ses fraises !
“Je travaille au feeling”
Comme on l’écrit depuis le début, Bertrand est un sacré personnage. Il aime son métier pour la diversité et les rencontres qu’il offre. Il a récemment planté, avec son fils Hilaire, quelques centaines de Polonia, des arbres reconnus pour leur qualité de bois d'œuvre et aux performances prometteuses pour l’avenir. Il s’ouvre à toutes les opportunités que ce soit sur ses productions comme sur ses ventes pourvu qu’il soit rentable et qu’il s’amuse. C’est comme cela qu’il a monté avec quelques producteurs un drive fermier ou encore qu’il programme un concert de musique classique dans un corps de ferme en mai prochain, parce que ça lui plaît ! Et croyez-nous, ça fait du bien de voir ça dans le milieu agricole !
Cette semaine, nous avons rencontré un personnage haut en couleurs. “Beber” ou “Bertrand le paysan”, comme il aime s’appeler, c’est une personne joviale taillée pour la vente directe et le circuit-court. C’était l’occasion pour nous de considérer à quel point, l’esprit commerçant est important quand on veut faire de la vente directe. L’agriculteur picard s’est construit une clientèle fidèle grâce à ses produits de qualité mais aussi grâce au temps qu’il accorde aux clients et aux apéros qui durent plus longtemps que prévu après les marchés ! Conscient des forces et des faiblesses du modèle, Bertrand pratique son métier avec un regard optimiste et un un bon-sens naturel qui nous ont mis du baume au cœur !
Bertrand vend du poulet et Agrovadrouille vend du rêve ;)