La Fabrik’ à Légumes
La Fabrik’ à Légumes
Jamais trop tard pour devenir maraîcher !
Cette semaine notre 4L nous a conduit jusqu’à La Fabrik’ à Légumes, une micro ferme au cœur de la Vendée qui cultive fruits et légumes en permaculture !
Plongez avec nous au cœur du récit d’un conseiller de gestion économique devenu maraîcher à 56 ans, revenu à la terre 40 ans après l’avoir quittée !
Si tu as 30 secondes..
La Fabrik’ à Légumes est une micro ferme tenue par Jean-Louis Dodelin, un ancien conseiller de gestion qui, en fin de carrière, a décidé de s'offrir un dernier challenge en passant de l'autre côté de la clôture : il est devenu maraîcher. Son modèle maraîcher est caractérisé par sa petite surface, sa forte productivité et son installation à moindre risque.
En continuant à nous lire, tu découvriras d’abord pourquoi et surtout comment Jean-Louis a pu s’installer sans casser sa tirelire avant d’explorer en détails sur quoi repose ce modèle de maraîchage dit “bio intensif”.
Si tu as 5 minutes..
La Fabrik’ à légumes, c'est le défi que s’est lancé Jean-Louis en 2021 : tout recommencer à 56 ans et revenir à la terre avec l’envie de bien nourrir les gens.
Une envie de bouger, de nouveautés !
Jean-Louis Dodelin est un fils d’agriculteur originaire du pays de Caux, en Normandie. Il a ainsi été élevé au bruit des tracteurs et à l’odeur du lin fraîchement récolté. Si l’idée initiale était de reprendre l’exploitation familiale, Jean Louis s’est finalement dirigé vers le monde du conseil et de l’expertise comptable en passant environ 32 ans au CER France.
“Je suis un homme de projet”
Il fallait bien être un peu fou pour quitter un travail confortable et se lancer dans le maraîchage quand on sait que 60% des maraîchers installés mettent la clé sous la porte au bout de 4-5 ans.
Mais les défis, Jean-Louis en a l’habitude. Ce passionné de courses à pied a déjà réalisé des courses mythiques comme l’UTMB (Ultra-Trail du Mont-Blanc) ou encore la Diagonale des fous (175 km sur l’Île de la Réunion et 40% d’abandons). C’est donc après 32 ans de carrière au même endroit que Jean Louis s’est lancé dans le grand bain et dans son nouveau projet : retourner à la terre et devenir maraîcher !
Et si on avait pas besoin d’être proprio pour s’installer ?
Bien souvent, installation agricole rime avec emprunt bancaire … et emprunt bancaire rime avec emmerdes bancaires (qui je dois l’avouer rime aussi avec bibliothécaire, dromadaire ou même hélicoptère). L'installation est un véritable enjeu, même si pour le maraîchage, les surfaces et bâtiments engagés sont assez petits et les investissements donc moins chers. Dans le cas de Jean-Louis, il n’a même pas été question de tout cela car il est simplement locataire de son terrain.
C’est une collectivité, une agence de développement de La Roche sur Yon qui, dans le cadre de l'aménagement d’une zone industrielle, a publié en 2021 un appel à projet pour installer un maraîcher sur son terrain. Le contrat entre la collectivité et Jean-Louis était le suivant : l’installation est prise en charge par la société de développement et Jean-Louis est locataire du capital en échange. Ainsi, les frais de démarrage, comprenant la construction du bâtiment de stockage, le magasin de vente, les 3 serres et le réseau d’irrigation, ont été payés par la colectivité. Jean-Louis n’a donc eu aucun frais pour lancer son activité, si ce n’est du petit matériel (outils de maraîchage et bricolage) et beaucoup de temps. Ce n’est que 2 ans plus tard et une fois l’activité fonctionnelle, que le maraîcher a choisi d'améliorer son équipement (chambre froide, formation, fourgonnette, équipements etc.) à hauteur de 60 000 € d’investissements.
L'une des trois serres de la Fabrik à Légumes
La permaculture, une promesse de bien nourrir les gens
“J’aimais bien mon travail mais je voulais bouger, faire quelque chose d’utile et de plus sensé”
C’est cette quête de sens qui a guidé le vendéen vers ce projet d’installation en permaculture. D’ailleurs c’est quoi ce mot là, “permaculture” ?
Basée sur 3 piliers que sont le soin de la terre, le soin des humains et le partage équitable des ressources, la permaculture est parfois plus une philosophie qu’un véritable cahier des charges précis de techniques. Ainsi, via un partage et une utilisation saine des ressources, la permaculture permet de prendre soin de l’Homme via des produits sains issus d’une terre respectée.
La permaculture, ça regroupe beaucoup de définitions et Jean-Louis nous l’a définie par le dicton suivant : “Moins t’interviens, mieux c’est”. L’idée est donc de cultiver en s'inspirant et donc, en respectant au maximum les processus naturels (pas d’intrants phytosanitaires, pas de chauffage artificiel des serres etc.)
“J’avais tout à apprendre”
Jean-Louis a choisi d'investir dans une formation auprès d'un autre maraîcher qui lui consacrait environ 2h/semaine pendant 1 an et il ne le regrette pas !
Ça donne quoi depuis 2021 ?
Bientôt 4 ans plus tard, Jean-Louis tient le coup ! Il bénéficie depuis quelques années de l’aide de Laurence, une employée saisonnière sur 8 mois à l’année. La Fabrik’ à Légumes se fait un petit nom sur le territoire et vend ses produits via un site internet, un réseau AMAP (partenariat entre un groupement de consommateurs et un paysan) et surtout son magasin à la ferme qui ouvre le mercredi, le vendredi et le samedi après-midi ! Enfin, et c’est le plus important, le nombre de clients augmente et les productions avec grâce à des produits bio, de plus en reconnus pour leur goût et leur qualité !
“Les gens prennent le temps de venir dégueulasser leur voiture pour acheter mes légumes, c’est quand même bon signe !”
Magasin de la Fabrik à Légumes
Si le projet évolue et grandit progressivement, son modèle de maraîchage est un mode de production éreintant qui demande une organisation et une maîtrise technique sans faille sous peine de perdre des récoltes.
Si tu restes avec nous, tu découvriras ce qui se cache derrière le mot barbare qu’est le “maraîchage bio-intensif”, mais également l’ambivalence de ce système de location de terrain.
5 petites minutes de plus ?
Le maraîchage bio intenquoi ?
La Fabrik à Légumes est une exploitation dont la superficie représente seulement 2 hectares. Sur ces 2 hectares, avec un bâtiment, des allées, du stockage, etc. Jean Louis ne cultive en réalité qu’un seul hectare. L’enjeux pour le maraîcher réside donc dans l’intense exploitation de cette “petite” surface, il opte donc pour ce qu’on appelle le maraîchage bio intensif. Un modèle très technique qui nécessite une expertise toute particulière mais qui permet à Jean-Louis et Laurence de produire 18 tonnes de légumes par an sur leur seul petit hectare, pas mal non ?
Mais alors comment font-ils ?
En maraîchage bio intensif, On maximise la production sur une petite surface et cela fonctionne autour de plusieurs axes :
Enrichir le sol : Il faut produire beaucoup ! Jean Louis et Laurence enrichissent donc régulièrement les sols avec du compost ou du purin. Ils utilisent même depuis peu du “lombricompost”, du compost qui est passé dans le tube digestif du lombric et donc encore plus riche en micro organisme. Mais il ne faut pas se leurrer ! Un environnement aussi riche, ça n’attire pas que les carottes et les pommes de terres. Les “mauvaises herbes” aussi sont de la partie, le désherbage est donc crucial dans cette quête de rendement. En effet, les adventices (“mauvaises herbes”) entrent en compétition avec les cultures pour l'eau, les nutriments, l'espace et la lumière. Les maraîchers doivent donc pailler les plants et désherber manuellement.
Optimiser l'espace : Les maraîchers associent les cultures pour tirer parti de chaque centimètre carré de leur sol. Les plantations sont souvent très denses, avec des variétés sélectionnées pour leur compatibilité. Il n’est pas rare de trouver 3 ou 4 espèces au sein d’une même plantation, une pratique inhabituelle dans les modèles de maraîchage conventionnels qui privilégient généralement la monoculture pour simplifier la gestion et la récolte. Cette diversité permet aussi de créer des interactions bénéfiques entre les plantes, comme l'amélioration de la pollinisation par exemple.
Photo des plants
Réduction des risques de maladies et de ravageurs : Le maraîcher met en œuvre diverses actions pour réduire ces risques : il ventile les serres en les ouvrant régulièrement, utilise des voiles de protection contre les insectes, installe des pièges physiques pour les mulots, et évite de planter côte à côte des espèces sensibles aux mêmes ravageurs ou maladies. Enfin, Jean Louis utilise également l’association intelligente de culture. Par exemple, l’ail éloigne la mouche de la carotte. Le maraîcher associent donc souvent ces deux cultures.
Jean-Louis et Laurence planifient et mettent donc en œuvre méticuleusement chaque facteur de production, un travail exigeant qui leur demande aujourd’hui trop de temps et d'efforts.
Planche de tomates et salades
“Si c’était moi qui avait investi, la ferme serait bien différente”
Lors de son installation, Jean-Louis a bénéficié de nombreux avantages grâce à la collaboration avec la colléctivité mais cette collaboration présente également des désavantages certains. En fait, Jean-Louis à le droit de pratiquer une activité maraîchère mais moyennant le respect d’un cahier des charges bien précis. Le site de production se trouve au niveau du zone humide, et c’est pour cette raison que la collectivité impose à travers son contrat : une surface de production plafonnée (2 hectares) ; une majoration du nombre de serres (3) et surtout, aucune utilisation d'énergie fossile. Et oui, Jean Louis et Laurence n'utilisent ni tracteur, ni motoculteur ni rien ! A la Fabrik à légumes, on déplace la paille à la brouette, on taille les plants au sécateur et on cueille à la main ! Une valeur noble mais qui coûte cher aux maraîchers lorsque l’on sait que le maraîcher fait en moyenne des semaines de 60 heures. Et ce n’est qu’une moyenne ! “Au début, socialement c'était compliqué, je ne voyais plus personne en dehors du boulot” nous a confié Jean-Louis.
Cueillette manuelle de pomme de terre
“En l’état, je sais que ce n’est pas un modèle d’avenir..”
Voilà une phrase très forte prononcée par Jean Louis qui reconnaît, qu’en l’état, le modèle n’est pas encore suffisamment viable. Difficile de prononcer le contraire lorsque l’on se rend compte qu’il ne se sort “que” 1000 € par mois. Aujourd’hui la Fabrik’ à Légumes représente un chiffre d'affaires (CA) d’environ 70 000 € qui sont rapidement absorbés par les dépenses conséquentes de l’entreprise : 17 000 € de masse salariale, 10 000 € de plants et semences, 3 à 4000 € d’irrigation, sans oublier le compost, la paille, l’électricité, l’entretien du matériel, etc..
“..mais ça pourrait le devenir”
Premièrement, Jean-Louis sait que La Fabrik à Légumes est capable d’augmenter son chiffre d'affaires (CA). Son objectif initial était d’atteindre un CA de 80 000 € et il y arrivera ! L’entreprise a également des perspectives de réduction des dépenses, à commencer par l’eau. Jean-Louis et la collectivité sont actuellement en train de réfléchir à un moyen de pomper l’eau de la nappe. Fini l’eau potable hors de prix, en guise d’irrigation. Enfin, il sait qu'il faut qu’il réduise sa charge de travail pour rendre le modèle viable. Il n’est aujourd’hui pas en mesure financière d’embaucher Laurence plus de 8 mois mais selon lui, 1 salarié à plein temps serait idéal.
La Fabrik à Légumes est une structure encore récente qui, grâce à l’ensemble de ces réglages, pourrait devenir une entreprise rentable avec une charge de travail supportable, bref, une entreprise qui marche !
Nous sommes arrivés chez Jean-Louis avec, en tête, ces fameux 60% d’abandons au bout de 4-5 ans concernant le maraîchage. Pourquoi ce métier est-il si périlleux ?
Au cours de cette semaine, on a pu comprendre que 2 raisons semblent expliquer le phénomène : l’installation à moindre risque qui attire beaucoup de monde et la charge de travail qui finit par en dégoûter plus de la moitié…
Le modèle de la Fabrik à légumes n'échappe pas à la règle mais Jean-Louis, poussé par ses convictions inspirantes, est bien motivé à rendre son modèle viable ! Un modèle maraîcher basé sur le fonctionnement des écosystèmes naturels qui aboutit à des fruits et légumes bio, de saison et donc forcément de qualité ! Développer des ceintures maraîchères autour des bassins de vie semble être indispensable pour accélérer la transition vers une alimentation saine, locale et durable.
Voilà un article qui redonne à la pêche !