Des escargots à la diversité, l'itinéraire d’une ferme exemple de résilience
C’est au cœur de la Bourgogne, à la ferme au gré du temps, que notre carrosse violet s’est arrêté cette semaine.
Plongez avec nous au cœur d’un élevage d’escargot qui d’année en année s’est transformé en une ferme bien plus globale, où la diversité des productions et des savoir-faire garantissent une résilience inédite !
Si tu as 30 secondes..
La ferme au gré du temps porte plus que bien son nom !
D’abord parce qu’elle évolue d’année en année. Historique élevage d’escargot, la ferme élève aujourd’hui également brebis, lapins, volailles, abeilles mais ce n'est pas tout. Ils cultivent aussi une ribambelle de fruitiers et de champignons ! Une belle diversité donc et tout à “petite échelle”. L’idée des 3 associés c'est d'assurer une certaine stabilité : si cette année-là les cassis ne sont pas au rendez-vous, ils pourront toujours compter sur leurs framboises, etc. En clair, ils travaillent au gré des saisons, au gré du temps.
Que ce soit pour les vergers, les ruchers ou les brebis, ils exploitent 80 ha alors qu’ils n’en possèdent à peine que 2. Des agriculteurs “sans terre” au modèle qui bouscule les codes traditionnels et qui a le mérite de poser la question suivante : Être agriculteur doit-il systématiquement impliquer avoir des terres ?
En continuant à nous lire, tu découvriras précisément ce que veut dire “élever” des escargots avant d’explorer qu’une multitude d’activités se sont peu à peu ajoutées, avec un objectif clair en tête : gagner en résilience et mieux faire face aux aléas du métier.
Si tu as 5 minutes..
L’escargot ça se mange ?
Bien sûr que ça se mange, c’est très bon même ! D’ailleurs si tu en as déjà mangé auparavant, sache qu’il y a de grande chance qu’il parvint de l’étranger.
Contrairement à notre ferme de la semaine, l'escargot dit “de Bourgogne” porte très mal son nom. En fait, ce nom c’est le nom d’une espèce. Aussi appelée Helix pomatia, cette espèce représentent environ 90 % des escargots consommés en France. L’élevage de cette espèce est si complexe que les escargots sont uniquement ramassés à l'état sauvage et proviennent en réalité de pays de l’est tels que la Pologne ou la Roumanie.
En revanche, la production française (~10%) se concentre principalement sur d'autres espèces comme Helix aspersa (petit-gris et gros-gris) qui eux sont élevés sur notre territoire.
Du sauvetage des amis du jardin à l’un des plus grands élevages de Bourgogne
Justement, à la ferme au gré du temps on élève du gros gris et depuis 14 ans ! L’histoire est assez dingue mais Frédéric est tombé amoureux de ces petites bêtes en voulant les sauver avant de refaire son terrain. Un an plus tard, il quittait son poste d’ingénieur en informatique pour suivre une formation agricole (BPREA) et s’installer en tant qu'éleveur d’escargot.
Mais comment ça s’élève un escargot ?
Bonne question ! Aller, commençons par le commencement. L’escargot sort de son œuf au printemps et est lâché dans un parc à escargots. Une petite surface enherbée, jonchée de planches de bois qui protègent les mollusques de leurs deux principaux ennemis : le vent et le soleil. Les escargots se nourriront de l’herbe ainsi que d’aliments complémentaires distribués par l'éleveur (céréales et minéraux). Environ 6 mois plus tard, ils auront grandi et atteint leur taille adulte ! Plutôt simple non ?
Et bien non ! Tu vas voir qu’en fait c’est pas si simple ... Déjà l’escargot c’est un animal très sensible, il peut mourir de froid, de chaud, de sécheresse, de noyade, de prédation, de maladies... Bref d’autant de causes qu’il en existe et qui font qu’en moyenne les éleveur perdent 33 % de leurs effectifs tous les ans et doivent redoubler d’efforts pour éviter d’en perdre plus.
Quand on parle d'élevage, on parle de cycle, finissons donc notre cycle. Une fois adultes, dès septembre, vient la période de récolter nos amis à coquilles. Avec un grand S puisque l’on parle d'environ 250 000 escargots à récolter à la main. C’est pas rien ! Les escargots sont alors placés dans une cave froide et sèche qui imitent des conditions hivernales où ils s’endormiront pour hiberner. La majorité d’entre eux ne se réveillera pas et sera abattue, tandis qu’une petite partie sera conservée et réveillée au printemps pour la reproduction. Les mâles et femelles s'accoupleront et donneront lieu à de nouveaux œufs. Ça y est notre cycle est bouclé.
Tu t’es fait avoir ? L’escargot est une espèce hermaphrodite, donc ni mâle, ni femelle, ou plutôt… les deux en même temps ;)
Plusieurs parcs à escargots de la Ferme au Gré du Temps
Une ferme en pleine évolution
Frédéric ne travail plus seul aujourd’hui. Il s’est associé avec sa soeur Anabelle et sa femme Virginie. 3 personnes qui travaillent à temps (plus que) plein à la ferme et croyez-nous il faut bien ça !
De septembre à janvier, c’est la grosse saison ! Il faut récolter les escargots, les abattre, mais aussi les cuisiner et les vendre. En effet, la famille a fait le choix de la transformation et de la vente à la ferme. Un modèle, certes bien plus exigeant en heure de travail, mais qui leur permet de capter davantage de valeur ajoutée et de vendre leurs escargots à de meilleurs prix, environ 100 000 euros de chiffre d'affaires rien qu’avec leur vente d’escargots. (50% du CA total).
Et ce n’est d’ailleurs pas le seul choix fort qu’ils ont fait. En 14 ans, la ferme a connu une véritable métamorphose. Elle accueille aujourd’hui une multitude d’autres activités à petite échelle: brebis allaitantes et laitières, lapins, ruches, vergers de toutes sortes, et même champignons ! La transformation a, elle aussi, pris une place centrale dans le projet des associés. Du fait des faibles volumes de chaque activité, c’est quasi la seule façon de valoriser leurs produits. Ils les élaborent eux-mêmes, de la viande aux produits laitiers, en passant par les sorbets, les confitures et bien d’autres. Mais cette richesse a un prix. Avec autant d’ateliers à faire tourner, la charge de travail est immense, et la “grosse saison”, maintenant, c’est toute l’année…
En continuant à nous lire, tu découvriras avec nous les secrets de la résilience de la ferme face aux aléas. Un modèle où la diversification et le format d’agriculture “sans terre” font toute la différence.
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Une ferme au gré des opportunités
Si une telle diversité questionne forcément sur la charge de travail, elle présente tout de même de nets avantages. En agriculture, chaque année est différente de la précédente. L’une peut être très pluvieuse quand la suivante sera très chaude, bref, aucune année n’est jamais idéale pour toutes les cultures.
Classiquement, en agriculture, l’idée est de faire face aux aléas climatiques pour que chaque année notre culture résiste et produise au maximum. L’exemple est certes extrême, mais on a déjà vu des viticulteurs faire voler un hélicoptère au-dessus de leurs vignes pour chasser le gel. Ça illustre bien jusqu’où certains agriculteurs peuvent aller pour sauver une récolte...
À la ferme au gré du temps, on réfléchit à l’inverse ! Si un framboisier ne donne jamais autant chaque année, alors, ne faisons pas que des framboises ! Voilà l’ADN de la ferme, une ferme au gré du temps et de ses caprices, où la diversité permet chaque année de garantir une production satisfaisante.
“Il y a 2 an nous avons perdu 70% de nos escargots, et grâce à notre diversité, on s’en est sortis là où certains y seraient peut-être restés”
Voilà un bon exemple qui démontre que ne pas mettre tous ses oeufs dans le même panier, ça sert !.
On a donc affaire à deux modèles bien différents et tous les deux légitimes dans leur stratégie :
Le modèle “classique” de culture spécialisé où cette dernière est bichonnée, produit énormément, mais où les aléas peuvent être dévastateurs. Les œufs sont tous dans le même panier donc on doit en prendre très soin.
Le modèle de la ferme au gré du temps, très diversifié où les œufs sont répartis dans plusieurs paniers. On s’occupe un peu de chaque panier afin d’en garder quelques-uns en sachant qu’il y aura de la casse ! Un modèle moins productif mais bien plus sécurisant.
“De la casse il y en aura, et de plus en plus avec le dérèglement climatique”
La diversité amène nos 3 associés à devoir gérer énormément de productions à la journée. Ce train de vie leur coûte bon nombre d’heures, surtout lorsque les parcelles sont éloignées. Ils ne peuvent donc pas toujours accorder suffisamment d’attention à toute leurs cultures. Et c’est pleinement assumé ! Certaines années, le gel est arrivé lors de la floraison des pêchers, et faute de temps pour installer les protections, une grande partie de la récolte a été perdue. En revanche, les pommiers, pas encore en fleurs, n’ont pas été touchés. Si ce système peut être considéré comme laxiste, il se montre très résilient lors de perturbations climatiques.
Des néo-ruraux installés sur un petit foncier dispersé
Et comme ils ne font rien comme tout le monde pour les cultures, ils font pareil pour le foncier. Virginie, Frédéric et Annabelle sont installés sur à peine 2 hectares !
À vrai dire, ils n’avaient pas vraiment le choix. N’étant pas issus du milieu agricole, ils ne bénéficiaient pas d’héritage foncier et ont donc dû acheter des terres. 2 ha c’est déjà bien pour faire des escargots et des fruitiers, seulement ces surfaces ne sont pas regroupées. 5 000 m2 par ci, 2 000 autres 20 km plus loin, en voilà un système particulier.
L’inconvénient principal de ce modèle est le temps de trajet entre chaque parcelle. Cependant, cette dispersion de surfaces agricoles participe aussi à la résilience du modèle. Et oui, qui dit différentes localisations dit aussi différents climats. La ferme parvient ainsi à préserver des récoltes lors de tempêtes orageuses grâce à des arbres situés sur une parcelle où l’orage n’est pas passé.
Des brebis sur 2 hectares ?
Comme nous au début, vous vous demandez certainement comment ils font pour avoir des brebis avec 2 hectares seulement. C’est là que ça devient intéressant ! En fait, ils se font prêter des parcelles autour d’échanges de bons procédés. Pour les fruitiers par exemple, c’est un agriculteur en départ à la retraite qui leur prête une surface pour qu’ils cultivent leurs fruits. De la même façon et à plus grande échelle, ils trouvent des accords avec des agriculteurs pour faire pâturer leurs 70 brebis, c’est ce qu’on appelle : l'éco-pâturage ! Ce terme encore bien tordu apparaît de plus en plus comme un moyen écologique de pâturer des zones d'herbe qui ont besoins d'être tondues. C’est le cas du pâturage sous panneaux solaires appelé aussi agri-voltaisme. Au total et grâce à tous ces contrats/ arrangements, la ferme fait pâturer ses brebis sur presque 70 ha sans n’en posséder aucun !
L'éco Pâturage, un modèle gagnant-gagnant
Que ce soit en contrat avec une entreprise ou sur les parcelles d’agriculteurs, les arrangements peuvent prendre plusieurs formes. Pour l’agri-voltaisme par exemple, ils sont payés pour entretenir la parcelle par leurs moutons. Pour la mise à disposition de terres par un autre agriculteur, le pâturage est gratuit car souvent l’agriculteur touche une subvention par la PAC (Politique Agricole Commune) en parallèle. Au bout du compte, tout le monde est content ! L’entreprise propriétaire des panneaux solaires fait une sacré économie en évitant de passer par un prestataire pour la tonte et l’agriculteur qui n’a pas à couper son herbe fait lui aussi une belle économie de temps.
Enfin, pour nos bergers, les avantages sont certains. lls bénéficient d’alimentation gratuite voire parfois rémunérée pour leurs brebis. De plus et dans le cas de l’agri-voltaisme en particulier, il bénéficie d’un parc déjà clôturé et de zones d’ombres pour les bêtes.
Pas un peu risqué comme pari ?
Comme tout contrat, des vigilances sont à considérer. La dépendance aux autres notamment, c’est-à-dire à ceux qui prêtent les terres à nos bergers. La dépendance à l’entreprise énergétique par exemple, et la menace de perdre un jour une source conséquente de pâturage (20 ha).
Parmi les inconvénients figurent également le temps de trajet afin de surveiller et nourrir les différents lots sur les différentes parcelles.
“On refuse même des gens qui nous demande de venir pâturer leurs cultures”
Sauf que dans la bouche de Frédéric, il n’est pas né le jour où les terres ne seront plus disponibles pour ses brebis. En effet, il trouve régulièrement de nouveaux agriculteurs amateurs de faire entretenir leurs parcelles par des brebis pour ne pas avoir à le faire. Ils peuvent parfois même s’autoriser le luxe de choisir des cultures de meilleure qualité. Un opportunisme confortable et à moindre risque quand on n’est pas propriétaire. En bref, l'éco-pâturage semble plutôt bien fonctionner pour chacun et l’offre n’est pas près de saturer sur la région.
Au final, tant sur la production que sur le foncier et son agencement, la ferme au grès du temps c’est l'histoire de néo-ruraux qui ne font rien comme les autres, qui se sentent parfois vu comme des ovnis mais qui au final ont trouvé de réelles solutions aux défis agricoles d’aujourd’hui : diversifier pour mieux résister, aménager pour mieux produire.
Finalement, il en faudrait 30 des minutes de plus pour vous conter la multitudes des choses que l’on a apprises cette semaine. Nous avons donc fait le choix de survoler les lapins, les ruches et autres pour se concentrer sur ce qui nous a le plus marqué : la résilience.
Annabelle, Virginie et Frédéric ont monté un modèle d’une résilience fascinante tant par sa diversité que par son format d’agriculture “sans terre”.
À une époque où le monde agricole est traversé par des crises profondes, exposé aux aléas climatiques et aux secousses des marchés, la résilience n’est plus un atout : elle devient une nécessité.
Tu les mettrais où tes oeufs toi ? ;)