L'ambitieux rêve d'un poulailler restaurant
Cette semaine nous séjournions à la Ferme d’Illats, une exploitation qui élève, abat et cuisine des poulets fermiers au sein du même site.
Plongez avec nous à l’intérieur du rêve ambitieux d’un couple de néo-ruraux (citadins ayant décidé de quitter la ville pour s'installer à la campagne) qui est passé d’un “petit poulailler de 3-4 volailles” à une véritable entreprise aux multiples facettes et découvrons ensemble un modèle innovant de ferme à table : du poussin à l'addition !
La ferme d’Illats c’est l’histoire d’Émilie et Michel Dudon, un couple passionné par l’élevage de volailles, qui a traversé un chemin parsemé d’embûches avant d’arriver à son concept actuel de restaurant à la ferme. Ce concept unique en France réunit sur moins de 4 ha, l’ensemble de la chaîne de production d’un poulet. En venant à cette ferme, on peut ainsi déguster un délicieux repas fermier, vue sur la ferme et repartir avec ses courses made in Illats.
En continuant à nous lire, tu découvriras d’abord le fonctionnement de ce modèle de circuit ultra-court, ses valeurs de partage et de retour à une cuisine généreuse, mais aussi la complexité de l’installation agricole, surtout pour des néo-ruraux.
Si tu as 5 minutes..
Aujourd’hui, la ferme d'Illats et ses 8 employés s'occupent d'un élevage de poulet capable d'accueillir simultanément 4500 volailles, un abattoir, un atelier de découpe, un magasin et un restaurant. Rien que ça ! Mais alors comment une telle diversité d'activités est-elle rendue possible ?
La Ferme d’Illats c’est d’abord un poulailler !
C’est sur leur 4 hectares et au sein de leurs 9 parcs qu’Émilie et Michel élèvent leurs volailles. Ces parcs, de différentes tailles, peuvent accueillir entre 200 et 800 bêtes et sont espacés pour limiter les contaminations sanitaires. Les volailles y sont élevées en plein air et nourries aux céréales qu'achètent les éleveurs. L’organisation du poulailler est saisonnière. De janvier à juillet, les éleveurs concentrent leur activité sur les poules pondeuses et les poulets tandis que d’août à décembre, ils ajoutent les oies, poulardes, pintades et chapons pour la grosse période des fêtes. Les volailles sont protégées par 4 adorables chiens, qui le sont moins avec les renards …
Éleveur mais pas Naisseur !
Comme tous les élevages de volailles, à la Ferme d’Illats, ils ne sont pas naisseurs. C'est-à-dire qu’ils ne s’occupent pas du renouvellement de leur lot de volailles. En fait, les naisseurs, une autre entreprise, s’occupent de la reproduction et de la croissance des volailles de leur 1er jour jusqu’à leur 4ème semaine puis, la ferme d’Illats achète les poussins et les élève jusqu’à leur 18ème semaine (~4 mois). En 18 semaines, la ferme d’Illats obtient de véritables poulets fermiers pesant jusqu'à 2,5 kg et caractérisés par leur viande tendre et juteuse. En comparaison, des poulets Label Rouge ne sont élevés que jusqu'à 13 semaines maximum.
Un abattoir sur la Ferme !
C’est à l’âge de 4 mois que les volailles d’Illats sont abattues, et pas n’importe où, sur la ferme ! Tous les lundis, la ferme ne reçoit pas de visiteurs et les employés consacrent leur journée à l'abattage de 180 à 250 volailles.
Un choix qui représente de multiples avantages.
Chaîne d'abattage de la ferme d'Illats
Premièrement, c’est pour les bêtes, elles subissent le moins de stress possible. Ici, pas de transport de volailles entassées les unes sur les autres, elles sont dirigées vers une salle spéciale, insonorisée et dans le noir, dont le seul but est de calmer ces dernières avant leur dernier souffle. De plus, cette atténuation du stress est aussi synonyme de qualité de viande. En effet, le stress est une réponse hormonale qui peut affecter l'acidification post-mortem entraînant alors une viande plus dure et plus sèche. Les conditions d'abattage de la ferme contribuent donc fortement aux aspects tendres et juteux de la viande. Abattre sur la ferme est également une plus-value sanitaire forte. En évitant le contact avec des équipements, des usines ou d'autres êtres vivants extérieurs, ce procédé réduit considérablement les risques de contamination. Par exemple, jamais la Ferme d’Illats n’a été impactée par une grippe aviaire ou autre maladie dans le genre. Enfin, le dernier avantage est économique, et on l’a vite compris lorsque Émilie nous a expliqué que les frais d'abattage dans d’autres établissements pouvaient représenter jusqu'à 4,50 € par tête.
La ferme d’Illats c’est aussi un magasin restaurant
Le bâtiment principal de la ferme est extrêmement bien pensé pour accueillir une chaîne de production et de commercialisation totale ! Après l'abattoir tu trouveras l’atelier de découpe, suivi de la cuisine enfin complété par le magasin-restaurant caractéristique de la ferme !
Organisation du bâtiment agroalimentaire de la ferme d'Illats
Du poussin à l’addition, on ne t'avait pas menti ! Du mardi au dimanche, on y propose les denrées de la ferme telles que les œufs, les poulets ou les chapons mais également les produits des “copains producteurs” comme aime le dire Emilie (vin, bière, fromages, confiture et bien d’autres encore). La ferme valorise donc au maximum ses produits en limitant les dépenses. Un modèle ingénieux, permis par des employés qui croient au projet et qui sont de véritables couteaux suisses ! Ils excellent aussi bien en abattage et découpe de volailles qu’en cuisine ou en service client. Une équipe intergénérationnelle (de 16 à 60 ans) qui respire l’entente et la bonne humeur.
“J’ai une équipe en or et je le sais” (Émilie Dudon)
Et plus encore !
La ferme d'Illats, c'est aussi un espace d'accueil dynamique où divers événements sont organisés. Des visites pédagogiques aux concerts, en passant par les brunchs et la célèbre fête de Pâques, aux beaux jours la ferme est capable d'accueillir plus de 200 personnes qui partagent un moment convivial et fermier ! Des moments qui valent de l’or selon Émilie. L'éleveuse aime à qualifier ce système de "cercle agricole vertueux" où le bien-être des volailles entraîne celui de l'équipe qui garantit ainsi un accueil et des produits de qualité !
Concert dans la guinguette d'été de la Ferme d'Illats
Tu l’auras compris, la Ferme d’Illats est un système très bien pensé, modèle de circuit court et de convivialité qui a pourtant commencé avec une cabane en bambou en guise de poulailler !
En restant avec nous, tu découvriras en détail, l’histoire d’Émilie et Michel, un couple de passionnés, parti de rien, qui a dû traverser bien des épreuves avant d’en arriver là.
5 petites minutes de plus ?
Une installation à partir de rien
Si rien n’est facile dans le monde agricole, ce projet-là est un bon exemple de persévérance et de résilience. En tant que néo-ruraux (“nouveau-ruraux”, citadins ayant décidé de quitter la ville pour s'installer à la campagne), Émilie et Michel ont dû s’y reprendre à 2 fois avant de pouvoir trouver un terrain agricole à vendre. Ne pas hériter d’une terre agricole familiale, c’est déjà un véritable handicap pour réaliser son projet, selon Émilie.
Des débuts difficiles…
Parce qu’il fallait bien commencer quelque part, les 2 passionnés ont commencé leur élevage de volailles sur un terrain en location. À l‘époque, les quelques volailles élevés entre 4 bambous et une botte de foin étaient envoyés à l’abattoir puis récupérés pour la transformation et la vente. C’est de là qu’est née la ferme d’Illats, une profonde volonté d’élever des poules et des moyens encore précaires pour en vivre !
En 2015, le couple a pu acheter un terrain agricole de 4 hectares à Cérons, petit village à 30 min de Bordeaux. L’aventure a véritablement commencé pour Émilie et Michel avec comme situation de départ, un poulailler d'élevage construit à base de reste de bambous, d’une vielle botte de foin en guise de paillage et un mobil’home sans eau ni électricité pour vivre.
De 2016 à 2019, c’était 3 ans de vie dans des conditions précaires, des pépins financiers etc. Bref, il en fallait de la ténacité pour continuer de croire en son rêve !
“Si c’est l’argent que je recherchais, je n’aurais pas eu cette vie !” (Émilie)
Un développement progressif
Alors qu’Émilie s’occupait de l’aval de la production, Michel bricolait peu à peu de nouveaux poulaillers passant de 1 jusqu’ à 9 actuellement.
Émilie rêvait d’un système quasi autarcique, conciliant élevage, transformation et accueil de public. C’est pour cette raison, et pour apporter une nouvelle activité économique, que le couple a développé un atelier de transformation et de cuisine des volailles. Un service de restauration s’est peu à peu développé sur la ferme et il ne manquait plus grand-chose pour réunir sur un même endroit la fourche et la fourchette ! 2019 a été un tournant dans la vie du couple et dans l’évolution du projet agricole d’Illats. Après le grave accident de santé de Michel et une situation économique préoccupante, Émilie a dû reprendre la direction de la ferme (passage du GAEC en EARL) et voir plus grand était quasiment indispensable pour maintenir le projet en vie !
Des investissements conséquents pour accompagner le développement
Depuis longtemps, le couple ambitionnait de faire construire un bâtiment neuf réunissant abattoir, atelier de découpe, cuisine, magasin de producteurs et restaurant. Démarré en 2020, il a vu le jour en 2022. Cette structure a représenté un coût de 1,4 millions d'€ (aide des collectivités et emprunt supplémentaire) et a été pensée par Émilie jusqu’au dernier joint afin d’être optimal. Le concept de restaurant intitulé “La Table” pouvant accueillir 30 couverts le midi, et la guinguette d’hiver d’une capacité de 150 places assises ont vu le jour par la même occasion au sein d’un cadre chaleureux et authentique. C’est aussi en regardant la facture d’électricité annuelle qu’Émilie et Michel ont choisi d'investir dans un parc de panneau solaire afin d’économiser les lourdes dépenses dûes en grande partie au fonctionnement des chambres froides.
Aujourd’hui, les investissements sont loins d’être remboursés mais l’équipe est plus que jamais confiante pour l’avenir de la ferme d’Illats ! Si la tempête est passée, c’est grâce à la persévérance du couple et de sa fidèle équipe, convaincus de la beauté de ce modèle vertueux d’alimentation.
Salle de restaurant-magasin de la ferme d'Illats
Un concept confronté à une société détachée des enjeux alimentaires
Au cours de cette semaine, Émilie nous a tout de même confié ses inquiétudes quant au devenir de la consommation de produits locaux et artisanaux. L'agricultrice ressent une réelle déconnexion de la société aux enjeux et à la réalité du vivant. Depuis son enfance déjà, elle nous explique que l’agriculture souffrait d’une image ringarde et sans avenir pour les jeunes. Dès lors, les gens ont commencé à déserter ce secteur, et des savoirs-faire simples comme la nourriture des animaux, la façon de lever des filets de poulets ou bien même les souvenirs de fleurs d'acacias fries se sont peu à peu perdues entre les générations. C’est de ce phénomène de déconnexion à la Nature que souffre Émilie et l'agriculture locale française en général. Un simple détail comme conserver la tête sur un poulet dans les étales du magasin devient un véritable choc mental pour certaines personnes qui ne sont plus habituées à cette réalité du vivant. Émilie déplore donc ce tabou autour de l’animal, pourtant fière d’expliquer à ses clients qu’elle possède son propre abattoir et que si le poulet possède encore sa tête c’est aussi pour mettre en évidence son authenticité. De par ces gestes, l’agricultrice milite énormément pour remettre l’alimentation saine et authentique au cœur de la tête et des assiettes des clients et restaurer ainsi les habitudes et le savoir-faire d’antan.
Nous avons été profondément touchés par cette ferme, son histoire et ces gens qui œuvrent chaque jour pour l’écrire. La ferme d’Illats, c’est une entreprise agricole qui comme les autres subit des crises économiques et sociales mais qui perdure grâce à ses convictions et sa passion du métier. Après avoir trimé durant plus de 10 ans, Émilie et Michel voient enfin leur rêve prendre forme, celui de remettre chaque jour des produits sains dans les paniers des clients et de célébrer l’alimentation simple et gourmande.
Encore une histoire qui fout la chair de poule !