D'une ferme laitière à un modèle collectif inspirant
Cette semaine nous avons redécouvert la ferme du Temple, une exploitation qui héberge des vaches laitières ainsi que plusieurs autres activités artisanales.
Plongez avec nous à l’intérieur d’un modèle innovant de ferme collective, où artisans et agriculteurs travaillent main dans la main et découvrez un système d’élevage bien particulier alliant faibles investissements, rentabilité optimisée, bien-être animal et des conditions de travail confortables.
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La Ferme du Temple, c'est l'histoire de Gautier Fihue, un éleveur qui a construit un modèle bien spécifique où ses vaches laitières sont nourries exclusivement à l’herbe, et ce, sur une surface étonnamment réduite. Un modèle ingénieux qui réduit considérablement les besoins en matériel et en infrastructures, infrastructures qu’il possède pourtant et qu’il a choisi de mettre à disposition. En effet, ces dernières permettent, d’année en année, à de nombreux artisans de s’installer sur la Ferme. Gautier et les artisans construisent ensemble un projet collectif, convaincus des nombreux avantages que la coopération offre.
En continuant à nous lire, tu découvriras le fonctionnement des multiples activités présentes sur la ferme avant d’explorer spécifiquement sur quoi repose le modèle d’élevage aux multiples avantages de Gautier.
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C'est en haute Normandie, et plus précisément dans le pays de Bray que se trouve la Ferme du Temple.
La Ferme du temple, une ferme collective.
Dès son installation, Gautier avait pour ambition de ne pas travailler seul sur sa ferme. De par son système, il ne faisait pas usage de tous ses bâtiments. Pourquoi ne pas en faire profiter quelqu’un à la recherche de locaux ? Dès 2016, attiré par le projet collectif et le loyer modéré, Hugo et son projet de brasserie artisanale rejoignent la ferme. À partir de là, Gautier se fixe l’objectif d’accueillir une nouvelle personne sur la ferme chaque année. Vient ainsi le tour de Will, ancien expert automobile reconverti en artisan boulanger puis de Marceau, jeune apiculteur, Mado et son atelier de céramique puis Rémi qui installe en ce moment même son système fromager.
Mais alors comment tout cela fonctionne ?
Un modèle gagnant-gagnant !
Excepté Rémi, tous les artisans installés payent un petit loyer (~2 € du m2). Un format à bénéfice réciproque puisque ce loyer aide Gautier à payer la location de ses terres et aux artisans installés à payer un loyer bien plus modeste qu’un loyer "type" en ville. Au-delà de l’aspect financier, ce format permet surtout aux artisans de bénéficier d’un point de vente diversifié et dont la fréquentation est déjà assurée. De même pour Gautier, qui en accueillant chaque année une nouvelle personne, diversifie encore plus l’offre de vente directe sur sa ferme. Aujourd’hui, la ferme organise un marché de producteur mensuel où vous pourrez trouver pain, bière, poterie, miel, viande de bœuf, bientôt fromage mais aussi des produits d’autres producteurs du coin qui se déplacent spécialement pour l’occasion.
Une ferme, des artisans, un engagement partagé !
Les artisans et leurs produits incarnent tous l’identité de la Ferme du Temple, une identité fondée sur des valeurs communes telles que le bio, le local, et une approche collaborative. Travailler à la Ferme du Temple, c’est s'engager dans un projet collectif, où chaque acteur participe, à son échelle, à la vie de la ferme. S’y installer, c’est adopter et respecter ces valeurs tout en bénéficiant d’une liberté totale dans la gestion de son projet, qu’il s’agisse de la conception des produits, des infrastructures ou encore des horaires de travail, chacun gère comme il le veut !
Et Gautier dans tout ça ? Focus sur le système laitier
Gautier est éleveur de 80 vaches laitières de race Kiwicross ainsi que quelques bœufs et génisses croisées Angus. Les vaches sont nourries exclusivement à l’herbe des prairies de la ferme et sont en pâturage 10 mois sur 12. Gautier produit principalement du lait bio, vendu en partie en direct à la ferme et le reste à une coopérative laitière BIO, Biolait. Il vend également la viande de ses vaches réformées et il produit et commercialise quelques céréales et légumineuses (sarrasin, lentilles).
Gautier est un ingénieur agronome qui, avant de s’installer, a pu voyager à travers différents pays pour explorer ce que pouvait être l’agriculture ailleurs. C'est durant un voyage en Nouvelle-Zélande qu'il a découvert les systèmes laitiers intensifs à l’herbe. Aux côtés de ces champions du monde du lait et grâce à la rencontre de pionniers du système herbe en France, il s’est inspiré de certaines techniques pour les amener sur la ferme du Temple. Aujourd’hui, la spécificité du système de la ferme repose sur trois grands principes : le pâturage tournant-dynamique (PTD), la monotraite et le vêlage groupé de printemps (VGP). Des techniques, encore peu répandues de nos jours, qui assurent à Gautier une quantité de travail raisonnable ainsi qu’une rentabilité optimisée basée sur de très faibles coûts de production
En continuant à nous lire, tu découvriras ceux que veulent dire ces noms compliqués… mais surtout comment ils offrent de nombreux avantage au système laitier de la Ferme du Temple
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Qu'est ce que le pâturage tournant dynamique ?
Les 80 vaches de la ferme du Temple se nourrissent à l’air libre d’herbe, c’est ce qu’on appelle le pâturage. Ce pâturage est dit « tournant », car le troupeau change de prairie, et « dynamique », car elles le font souvent. En clair, les vaches pâturent tous les jours sur une parcelle différente de la veille, selon une rotation savamment orchestrée.
Mais pourquoi faire ?
Le pâturage : Pâturer est très bénéfique pour le métabolisme de l’animal car il se nourrit de diverses espèces végétales (trèfle blanc, violet, ray-grass etc.) riches en nutriments, contrairement à une alimentation monotone. La diversité végétale permet aussi d’héberger une faune essentielle à l’équilibre de la biodiversité.(pollinisation, portance du sol, stockage du carbone etc.). Les déjections animales sont aussi primordiales à la fertilisation du sol des pâtures. En pâturage, pas de nettoyage des bâtiments, une tâche souvent pénible est chronophage .Cela évite aussi à l’éleveur de devoir fournir des compléments alimentaires à ses bêtes. Nourrir ses bêtes peut vite représenter une importante corvée de temps pour l’exploitant, d’autant plus que les produits proviennent souvent de loin et sont très chers.
L’aspect tournant-dynamique : C’est une des clés du modèle ! L’idée c’est de permettre aux vaches d’avoir de quoi brouter d’un côté, tout en laissant le temps à l’herbe de repousser de l’autre côté. L'éleveur veille à faire arriver et sortir les animaux sur une parcelle à des moments bien précis. L’herbe doit être assez longue pour nourrir le troupeau, tout en restant suffisamment courte pour qu’une fois broutée, elle repousse rapidement. Pour se faire Gautier se réfère à deux mesures bien précises : la densité d’herbe et le stade foliaire.
Une productivité maximale sans intrants chimiques : C’est donc en maîtrisant le temps de pâturage et le temps de repos des parcelles que Gautier optimise la repousse et maintient une production d’herbe abondante et de qualité tout au long de l’année.
Un modèle efficace, mais qui demande une bonne prise en main !
Ce modèle de pâturage peut tout de même représenter certaines contraintes. Les vaches de la ferme du Temple restent des vaches laitières ! Et cela implique que les pâtures doivent être assez proches de l’exploitation afin de garantir le trajet salle de traite-prairie tous les jours. De fait, l’aménagement de la plateforme de pâturage est un pré-requis. Il faut impérativement créer un réseau de chemins d’accès aux prairies et prévoir des abreuvoirs dans chacune des parcelles. Enfin, c’est un système qui nécessite une organisation pointilleuse, l’agriculteur doit anticiper en permanence la rotation des pâtures afin de ne jamais se retrouver avec des parcelles en déficiences d’herbe mais, s’il est bien organisé, ce système permet aux vaches de se nourrir tous les jours dehors sur une nouvelle pâture et ce pendant 10 mois, pas mal non ?
La monotraite, traire moins ne veut pas forcément dire gagner moins !
Gautier a fait le choix d’organiser son système en monotraite, un choix rare puisque la plupart des exploitations réalise 2 traites par jour (matin et soir). En ne faisant qu’une seule traite le matin, il gagne beaucoup de temps car il faut compter environ 2 à 3 heures par traite (le temps de ramener les animaux des pâtures, les traire puis nettoyer la salle). Dépendamment des saisons et du travail à faire sur la ferme, il y a des périodes durant lesquelles la majeure partie du travail est faite à midi !
Traire une vache une seule fois par jour ne signifie pas produire 50% moins de lait mais plutôt une baisse d’environ 20 à 30 %, en effet, la production s’adapte grâce à un mécanisme d’autorégulation : le lait s’accumule jusqu’à un certain seuil avant que la sécrétion ne ralentisse. De plus, le lait accumulé est bien plus riche en matières grasses et en protéines ce qui permet à Gautier de la vendre plus cher que la moyenne. Avec une perte modérée et un gain de temps de travail considérable, ce choix est totalement logique et pleinement assumé, conciliant rentabilité et qualité de vie.
Le vêlage groupé de printemps,un choix en synergie avec la nature !
La plupart des exploitations laitières en France répartissent volontairement les vêlages (mises bas) tout au long de l’année. De cette façon, les vaches produisent du lait à différents moments, qui peut être vendu en continu et assurer un revenu stable pour les éleveurs. Ce sont des systèmes qui riment souvent avec un mode de vie à l’étable, dans lequel les animaux sont nourris à l’auge une bonne partie de l’année.
Dans le système de Gautier, l’ensemble du troupeau vêle (met bas) sur la même période, soit durant une plage de 6 semaines au printemps. C’est ce qu’on appelle le Vêlage Groupé de Printemps (ou VGP), un mode de vêlage qui né d’une synergie avec la nature. En effet, c’est au moment du vêlage que débute la lactation (production de lait) et qu’elle est la plus importante. Au même moment donc où les besoins nutritionnels des génisses augmentent. Les vaches de la ferme du Temple mangent ce que les prairies leur fournissent donc en réunissant les vêlages au printemps, la courbe des besoins nutritifs est la même pour toutes les vaches et surtout elle correspond à la quantité d’herbe présente dans les prés c’est-à-dire un fort besoin nutritif au printemps, puis de moins en moins jusqu’à décembre quand la lactation se termine (le tarissement).
Après l'effort, le réconfort !
Le vêlage groupé de printemps requiert une grande vigilance et une période de dure labeur au printemps pour l’agriculteur, notamment lors de l’insémination et durant la période de mise bas. En revanche, c'est un effort que l'éleveur n’a ensuite plus à subir avant l’année prochaine ! C’est aussi un choix qui réduit le travail hivernal puisque les vaches ne produisent plus de lait en hiver et donc fini la traite ! Conséquence qui implique également une absence de revenus laitiers en hiver, nécessitant une bonne gestion financière et une adaptation pour écouler un volume de lait concentré sur une période plus courte. Un choix qui demande donc une organisation rigoureuse.
En clair, un système viable et bien pensé
Ce système laitier trouve sa véritable force dans l’économie, au sens de la réduction des dépenses et du temps de travail. Les dépenses sont limitées au maximum, tout comme les emprunts et les frais d’exploitation. Grâce au PTD, et au VGP, le système d’élevage est quasiment autonome, évitant des frais de fourrages (aliment végétal destiné au bétail) supplémentaires , ou encore des frais d’achats et de réparation de machines. Les charges se limitent au strict minimum, c’est donc un système peu productif mais très rémunérateur. D’autres parts, les stratégies telles que là monotraite ou le VGP rendent le métier de Gautier supportable. L’éleveur peut amener ses filles à l’école, les récupérer le soir et il peut s’autoriser quelques semaines de vacances par an.
L'avis d'Agrovadrouille
La Ferme du Temple incarne la réussite d’un élevage laitier qui allie conditions de travail décentes, bien-être animal et rentabilité, grâce à des techniques innovantes et une gestion optimisée des ressources financières, matérielles et infrastructurelles. Ce cadre structuré et réfléchi a permis à Gautier de développer à côté de ça un modèle collectif dynamique, où un nombre croissant d’artisans collaborent et enrichissent, chaque jour, ce projet unique.
La ferme du Temple nous à livrer un modèle de revitalisation de la ruralité inspirant et motivant. A une époque où les campagnes s’essoufflent de plus en plus, au point de se transformer en "village dortoir". La ferme du Temple participe à recréer de la vie et du lien au sein de son village par bien des moyens. La vente à la ferme, les marchés mais aussi l’accueil de festivals ou les visites de fermes sont tous des exemples pouvant participer à diversifier les activités d’une ferme. Diversification qui crée d’abord de la vie au sein de la ferme et à fortiori au cœur du village.
Vachement intéressant non ? ;)