Une histoire de pommes, de poules et de moutons
Cette semaine nous avions rendez-vous aux Vergers de la Motte, où un pommiculteur en bio s’est séparé des pesticides pour laisser place aux synergies qu’offre la nature.
Plongez avec nous au cœur d’un système innovant et pourtant simple, où la nature devient le meilleur allié d’un arboriculteur breton au caractère bien trempé ! 🌧
Si tu as 30 secondes..
Mettre des moutons sous son verger plutôt que désherber soi -même. Pourquoi n'y avait-on plus pensé ? Voici l’aventure de Christophe, un agriculteur à la tête d’un verger, où les pommiers cohabitent avec moutons et poules. Une aventure d’un irréductible pomiculteur en bio qui, au milieu d’un bassin agricole conventionnel, s’est battu pour défendre ses convictions et les intérêts du bio.
En continuant à nous lire, tu en sauras davantage sur cette fascinante association pommes-poules-moutons et sur le parcours périlleux de notre agriculteur passé, à contre-cœur, de circuit court à circuit long.
Si tu as 5 minutes..
Des pommes au pays des pommes
Avec plus de 30 000 tonnes de pommes produites par an, la Bretagne est souvent considérée comme le "pays" des pommes. En effet, le climat tempéré et très humide du berceau du cidre assurent aux pommiers des conditions de cultures quasi idéales. C’est au cœur de l’Ile-et-Vilaine que se trouvent Les Vergers de la Motte. Une exploitation gérée par Christophe Bitauld qui a grandi ici et récupéré la ferme familiale. À son arrivée, Christophe décide de remplacer le peu de vaches que possédaient ses parents par quelques pommiers. Il en plante très vite d’autres, puis d’autres… et aujourd'hui, l'exploitation compte 27 hectares dédiés à la culture des pommes. Au milieu des pommiers, se trouvent 2 grands étangs de rétention que Christophe a fait construire il y a plusieurs années. Des bassins qui servent de réservoir pour son irrigation étant donné que les pommiers sont des arbres très exigeants en eau, et toute l’année.
Christophe cultive ici, pommes à cidre, pommes à jus et pommes de table qui représentent pas moins de 16 variétés sur sa ferme.
Et des pommes bio !
Christophe est intimement convaincu que l'agriculture conventionnelle (non bio) représente un danger majeur pour la santé. De part ses convictions, l’utilisation de pesticides et d’engrais chimiques qui laissent des résidus nocifs dans les aliments, sols et eaux n’était plus envisageable au sein de son verger. C’est donc en 2008 que le pomiculteur décide de convertir son système en agriculture biologique (AB).
Et ça implique quoi ?
Qui dit bio, dit adieu les herbicides (produit chimique utilisé pour tuer ou inhiber la croissance les adventices/“mauvaises herbes”). Or dans un verger, désherber c’est très important, il faut que les pommiers soient libres de toute concurrence pour accéder aux nutriments et à l'eau dans le sol.
Qui dit bio, dit aussi adieu les insecticides ! Or les insectes, dans les vergers ça peut faire beaucoup de ravages.. et 2 en particuliers :
Le Carpocapse, c’est un papillon et on le connaît tous. C’est lui qui va pondre ses œufs dans notre délicieuse pomme avant qu’elle ne devienne véreuse et tombe de l’arbre.
L’Anthonome, c’est un coléoptère et la c’est du sérieux, puisque que l’on parle de dégâts pouvant anéantir jusqu’à 90 % d’une récolte. Cet insecte passe l'hiver dans le sol avant de remonter au printemps sur le pommier. Il pond alors ses œufs dans les boutons floraux avant que ses jeunes larves ne consomment les fleurs. Et pas de fleurs, c’est pas de pommes !
La conversion bio ça implique donc de trouver d’autres solutions pour ces différents problèmes.
Anthonomus pomorum ou "Anthonome du pommier"
Un mouton, ça mange de l’herbe.
Et oui si tu ne le savais pas, le mouton est un animal herbivore, c'est-à-dire qu’il mange de l’her.. bon ok j’arrête. Mais n’empêche que dans un verger ça fonctionne super bien ! On appelle ça de l’agropastoralisme. Un nom compliqué pour parler d’une association complémentaire entre la culture et l'élevage. Les animaux ont de quoi manger et les cultures sont désherbées. C’est la solution qu’utilise Christophe aux Vergers de la Motte qui ne tond plus jamais ses vergers. Il possède 145 mères de race Shropshire qui, contrairement à d’autres races de moutons, ne mangent pas les écorces des arbres, et sont donc idéaux pour le pâturage dans les vergers.
“Avant c’était 160 heures et 2000 Litres de gasoil par an que me coûtait ma tonte, aujourd’hui c’est mes moutons qui s’en chargent”
Et au-delà de ça, c’est aussi une source de revenu supplémentaire pour Christophe. Après l’agnelage (naissance des agneaux), Christophe vend ses mâles à l’abattoire, et vend une partie de femelles à d’autres éleveurs. L’autre partie des femelles sert au renouvellement de son troupeau.
Et pour les insectes on fait comment ?
Bonne question l'ami ! Tu as pu le lire plus tôt, les insectes, c’est un vrai sujet ! Pour y remédier Christophe a eu la remarquable idée de mettre des poules dans son verger. Et pas n’importe quelle poule ! “La poule noir de Janzé” une race de poule locale qui était aux portes de l’extinction il y a quelques années. Et c’est pour dire, à l’époque Christophe a emprunté les 12 dernières à l’écomusée de Rennes et a relancé la race après 5 années de génétique complexe pour éviter la consanguinité. Aujourd’hui, il possède environ 200 poules, garde les œufs et utilise l'incubation artificielle pour renouveler son troupeau et en vendre quelques-unes.
La poule noir de Janzé est une poule particulierment fouineuse et exploratrice.
“En une heure, mes poules occupent la totalité de la parcelle et sont à la chasse à l’insecte, c’est impressionnant”
Christophe prend donc soin de déplacer minutieusement son troupeau de poules-moutons aux moments critiques de pondaison des Anthonomes et Carpocapses. Pour ce faire, il utilise des filets électriques et un poulailler mobile, construit à partir d’une remorque de camion, qui peut accueillir ses 200 poules.
Troupeau de poules-moutons des Vergers de la Motte
Un modèle “zéro” dépense
Malgré quelques frais inévitables en arboriculture tels que la main-d'œuvre (1 salarié à plein temps et 3 saisonniers), et l'achat de fumier de poulet, Christophe ne dépense quasi rien. Premièrement, il renouvelle lui-même ses troupeaux. Ça veut dire qu’il n’achète ni poules, ni moutons. Ses moutons et poules ne sont nourris qu’avec la biodiversité présente dans ses parcelles (herbe, insectes). Il n’a pas non plus de frais d’irrigation puisqu’il utilise l'eau de ses étangs. Autrement dit ce système ne lui coûte rien en eau, rien en herbicide, rien en insecticides et rien en alimentation animale.
“J’ai des hérissons dans les poches”
Être rentable c’est souvent être économe ! D’ailleurs, le pomiculteur construit et répare lui-même ses propres outils pour la récolte et le tri de ses pommes. Une qualité qui lui permet de nouveau une belle économie d’argent.
Et ça donne quoi tout ça ?
Christophe est à la tête d'un inspirant système bio d'agropastoralisme qui fonctionne. Il produit environ 600 tonnes de pommes par an, dont la moitié est vendue à des artisans cidriers locaux, et l'autre moitié aux Vergers de Chateaubourg, une filiale de Lactalis qui transforme des pommes bio en compote. La vente de ses pommes génère environ 200 000 € de chiffre d'affaires, tandis que la vente de ses animaux lui rapporte 10 000 €.
Jeunes pommiers des Vergers de la Motte
Bien que les Vergers de La Motte ne soient actuellement pas un lieu de transformation et de vente directe, il est important de noter que c'était le cas il y a quelques années.
En restant avec nous, tu découvriras que cette exploitation est une belle illustration de la difficulté de la transformation et de la vente à la ferme. Autrement dit, pourquoi Christophe a décidé d'arrêter la vente en circuit court en 2010, quels ont été ses combats et comment il voit l’avenir de son verger.
5 petites minutes de plus ?
Nous parlons souvent de modèles de réussite de circuits-courts. Il était aussi important pour nous d’aller à la rencontre de modèles de “déconversion circuits-courts” pour mieux cerner les freins et les leviers de ce phénomène. C’est avec cette idée en tête que nous avons rejoint Christophe, pour recueillir son témoignage sur ce qui l’a poussé à arrêter, et ce qui le pousserait désormais à s’y remettre.
Le circuit-court, un modèle plus vraiment à son avantage …
En 1988, à la suite d’un BEP en arboriculture, le breton a repris la ferme familiale . Plantés 1 an plus tôt, ses 4 ha de vergers donnaient déjà des pommes à son installation. La vente directe était une évidence Christophe, il vendait alors 100% de sa production à la ferme sous forme de jus, de cidres et de pommes de table. Il pressait, cidrifiait et embouteillait tout lui-même jusqu’à 10 000 bouteilles par an et sous-traitait au-delà. De 1990 à 2010 environ, le circuit-court a été le seul moyen de commercialisation de la ferme via un magasin ouvert du vendredi au dimanche. Cependant, la machine s’est ralentie après les années 2000 …
“À l’époque, les gens venaient chercher des pommes par sac de 35 kg !”
Alors qu’un panier moyen se vendait à 25 euros en 1990, 20 ans plus tard, il avait chuté à 5 euros. Du fait de tendances sociétales, de la concurrence nationale par la croissance des grandes surfaces, la clientèle se faisait de plus en plus rare. Les peu de ventes du magasin ne compensait plus le temps consacré, à la transformation, au conditionnement et à la présence en magasin et ont conduit a conduit à l'arrêt de la vente directe à la ferme en 2010.
Du circuit-court al circuito-longo !
La fin de la vente directe a poussé Christophe à trouver un autre débouché de vente. L'agrandissement de son verger et la stabilité de sa production lui ont permis de vendre ses pommes auprès d’un transformateur local, La Fermière. Après quelques années de bons et loyaux services et pourtant encore sous contrat, les prix d’achat ont été revus à la baisse par l’industriel auprès de tous ses producteurs de pommes. Révolté, Christophe s'est lancé en procès contre l’industriel et l’a perdu quelques temps après, condamné a accepté la baisse de ses contrats de vente. Par esprit de rébellion et parce que le Nord-Ouest de l’Espagne est un gros consommateur de cidre (20 fois plus que la consommation bretonne), Christophe a décidé de commercialiser lui-même sa production en Espagne. Aujourd’hui, le pomiculteur commercialise de nouveau localement mais cette fois-ci aux Vergers de Châteaubourg, un autre trasformateur breton.
Des galères … et encore des galères
Des combats comme celui-ci, c’est toute l’histoire de l’agriculteur breton ! Pomiculteur en bio, les conflits d’intérêts avec les voisins, c’est pas ce qu’il manque … Les vergers de la Motte sont entourés de parcelles voisines conventionnelle (non bio). Tu sens l’histoire venir … En 2023, à la période de la floraison des pommiers, Christophe a vu l’intégralité de ses fleurs tomber au sol. Il a ainsi décidé d’effectuer des analyses en laboratoire et s’est rendu compte que les responsables de cet incident étaient les produits phytosanitaires utilisés pour traiter le maïs voisin.
“C’est pas aux agriculteurs que j’en veux, c’est à l’État qui autorise ces produits”
Les conséquences de cet épisode ont été tragiques pour l'agriculteur qui a vu toute sa récolte réduite à néant, soit 200 000 euros disparus en quelques jours.
Des combats politiques et sociétaux énergivores
Longtemps syndiqué, le pomiculteur a passé beaucoup de temps à faire de la politique, à mener de nombreux procès et de nombreux combats administratifs afin de lutter contre ce qu’il considère être des injustices. Gagnés ou perdus, ces combats ont surtout coûté beaucoup à l’agriculteur. Premièrement, c’est du temps et de l’énergie laissés qui n’ont pas pu être consacrés à l’évolution et l’optimisation du modèle de la ferme. Mais c’est ausi et surtout les conséquences des conflits avec l'administration, les structures territoriales ou encore les banques qui sont désormais un handicap pour le développement de sa ferme.
“Je suis devenue persona non grata* des banques” (*personne non désirée)
Voilà une phrase qui nous a interpellée ! Une phrase qui résume plutôt bien la situation actuelle de Christophe et de son exploitation. Le breton ne se sent non seulement plus capable de développer sa ferme comme il l'entendait mais il n’en a surtout plus vraiment le droit. Blacklisté des banques, tout investissement sur la ferme est compromis. Il désire donc passer le flambeau à une nouvelle personne afin de résoudre ce casse-tête et permettre à la ferme de regarder vers l’avenir avec de nouvelles activités tournées vers le circuit-court par exemple.
Remettre les circuits-courts au coeur du modèle
Christophe prépare déjà la future reconversion de son modèle en circuit-court pour son successeur. En effet, depuis quelques années, il a déjà replanté sur 6 ha quelques variétés de “pommes de table”, celles que l’on retrouve dans nos cuisines. Avant de laisser un futur repreneur développer un atelier de transformation, la vente directe sera déjà possible par le biais de ces 6 hectares de pommes de table dont il espère pouvoir récolter 60 tonnes chaque année. De quoi manger des pommes pendant un paquet de temps …
“En bio, faut être totalement indépendant pour survivre”
Par cette phrase, il insinue que les prix flambent tellement que, dépendre du marché, c’est risqué. Les circuits-courts sont pour lui l’occasion de remettre la main sur la commercialisation de ses produits, choisir ses propres prix, et ainsi ne plus se faire avoir par des contrats au rabais par exemple.
Agroécologie, agropastoralisme … Appelons cela comme on veut mais selon nous, le modèle de Christophe Bitauld est un exemple inspirant de synergie entre l’élevage et l’arboriculture. Des associations astucieuses qui garantissent une production plus que satisfaisante mais surtout beaucoup plus d’économie de temps et d’argent qu’un modèle classique !
Nous sommes convaincus que l’une des promesses de l'agriculture de demain se trouve dans ce principe : s’inspirer des écosystèmes naturels afin de rendre nos modèles agricoles plus économes et donc forcément plus résilients et rentables à l’avenir !
Foutons-nous tous des hérissons dans nos poches !