Le défi de relancer une race typique Gersoise
Cette semaine nous séjournions chez Mathieu Roumat, au sein d'une exploitation qui héberge des vaches à viande de la race mirandaise, la race locale du Gers en voie de disparition.
Plongez avec nous à l’intérieur d’une histoire exceptionnelle, où un éleveur “qui ne voulait pas faire comme tout le monde” s’est lancé corps et âme dans la préservation et le redéploiement d’une race de vache dont il est tombé amoureux.
À la reprise de l’exploitation familiale, Mathieu Roumat, éleveur, a décidé de changer la totalité de son troupeau. Il choisit ainsi de troquer une race à viande commune pour la race locale du Gers alors en voie de disparition, la Mirandaise. En plus d’avoir réussi à construire un modèle viable, autour du bio, du pâturage et de la vente directe, Mathieu s’est aussi mis en tête d’agir activement pour relancer l’image et le développement de cette race si singulière, qu’il aime tant.
En continuant à nous lire, tu découvriras d’abord ce qu’est la race mirandaise, son histoire mais aussi tout le travail que consacre Mathieu depuis des années pour réussir à sauver cette race encore en voie de disparition aujourd’hui.
Si tu as 5 minutes..
La Mirandaise, une race qui était vouée à disparaître.
La Mirandaise est une race allaitante (élevée pour sa viande) qui trouve son berceau dans le Gers. Après la guerre, à une époque où l’objectif agricole était de produire massivement pour nourrir la population, la Mirandaise, moins productive que ses consoeurs comme la Limousine ou la Blonde d’Aquitaine n’est pas parvenue à s'imposer sur les marchés. N’étant plus sélectionnée par les éleveurs, la race s’est peu à peu effacée, passant de 200 000 bêtes au début du 20ème siècle à moins de 1000 en 2020.
Une race pourtant taillée pour le Gers..
La Mirandaise est une race rustique, très résistante qui possède un bon développement squelettique (membres très solides) et une très bonne fécondité. Des caractéristiques idéales dans un contexte structurel gersois rude. En effet, le Gers est un territoire avec des sols relativement pauvres, où les reliefs sont importants et donc difficile à pâturer pour des races communes, exigeantes en nourriture et sensibles aux variations climatiques et topographiques.
“Comparer une Blonde d’Aquitaine et une Mirandaise, c’est comme comparer une formule 1 et une 4L. La formule 1 va très vite mais ne peut rouler que sur piste plate, elle consomme énormément en essence et en entretien, là où la 4L, plus rustique, increvable, va moins vite mais passe partout.” (Julien Soulé, président de la race Mirandaise)
Agrovadrouille n’a pas choisi sa voiture au hasard ;)
Parcelles de Mathieu Roumat, paysage typique gersois
..qui offre une viande d’exception !
La Mirandaise est moins productive que ses consoeurs. C’est à dire qu’à la découpe, elle présente un moins bon rapport poids/carcasse qu’une Blonde d’Aquitaine par exemple. En revanche, la viande est d’un autre goût. C’est une viande qui se distingue notamment par son “persillage” délicat, où de fines lignes de graisse s'entrelacent avec le muscle garantissant une texture fondante à chaque bouchée.
Et Mathieu dans tout ça ?
Mathieu est un fils d’agriculteur originaire du Gers, qui a récupéré la ferme familiale. A l’époque, la ferme hébergeait 80 mères de race Blonde d’Aquitaine (race la plus répandue dans le Gers) pour 70 hectares de culture et de prairies.
“J’aime bien faire ce qui ne se fait pas !” (Mathieu Roumat)
C’est avec cette idée en tête qu’il s’est mis à la recherche de la race qui lui correspondait jusqu’à tomber sur la Mirandaise. En découvrant les diverses qualités citées ci-dessus, Mathieu n’a pas hésité à petit à petit remplacer son troupeau. Pour ce faire, l'éleveur gersois a mis à l’engraissement la totalité du cheptel de Blonde d’Aquitaine et a stoppé les saillies (accouplement). Ainsi, au fur et mesure qu’il vendait sa viande de Blonde, Mathieu s’achetait la race de ses rêves. Il a commencé avec 5 mères et en possède aujourd’hui une vingtaine !
NB : L'engraissement des vaches est un processus visant à augmenter la masse corporelle de ces dernières, généralement avant leur abattage, en leur fournissant une alimentation riche.
Une façon d'élever bien particulière
Mathieu fait aussi le choix de passer en bio et d’étendre ses terres à un total de 160 hectares. En effet, son objectif est alors de devenir autonome sur son exploitation, c'est-à-dire, réussir à nourrir ses vaches qu’à partir de ses terres. Elles pâturent dans les prairies au moins 8 mois dans l’année puis sont nourries avec le foin / enrubanné (herbe récoltée et conservée fraîche) et ses céréales. Il a aussi la particularité de ne se séparer d’aucun veau, toutes les femelles deviennent des mères et tous les mâles deviennent des boeufs (mâle castré) qu’il ne fera pas abattre avant leur 4 ans. Ainsi, Mathieu ne possède aujourd’hui “que” 20 mères, mais son troupeau total représente environ 80 animaux. Avec autant de terres, une demande grandissante en viande et son désir de développer la race, Mathieu compte agrandir son troupeau et certainement le doubler d’ici 4 ans. L’autonomie en ressources sur la ferme et l’élevage d’une race adaptée à son territoire participent à la robustesse environnementale et économique du système de Mathieu.
Éleveur, mais pas que !
Au-delà de l'élevage, Mathieu découpe lui-même une partie de sa viande dans l’atelier de son frère avant de la vendre en intégralité en vente directe. Il vend aussi toute sa viande lui-même au village du coin grâce à son camion réfrigéré. Pour finir, le gersois, amoureux de la Mirandaise, dédie une partie de son temps à la protection et au développement de la race en ayant rejoint activement il y a quelques années la fédération interdépartementale de la race mirandaise.
En continuant à nous lire, tu découvriras comment, depuis des années, Mathieu et cette fédération œuvrent dans la préservation et le déploiement de cette race si particulière.
Historiquement, on raconte que la France entière se battait pour acheter des Mirandaises, réputées pour être idéales pour le travail des champs, elles sont les ancêtres de nos tracteurs . Par exemple, au début du 20ème siècle, à la foire de la Madeleine à Montesquiou, c’est plusieurs milliers de bêtes qui se vendaient pour le Nord de la France jusqu’à la quasi disparition de la race à l’après-guerre !
Mais alors comment les éleveurs travaillent-ils au “come-back” des Mirandaises ?
Il y a plusieurs vingtaine d’années, a été créée pour promouvoir la race Mirandaise, la fédération interdépartementale de la race Mirandaise. Une association qui regroupe aujourd’hui 45 éleveurs de Mirandaises, du Gers et d’ailleurs.
L’union fait la force !
Ce format associatif permet de réunir les éleveurs, de mutualiser les efforts, les techniques de travail et surtout de prendre collectivement des décisions importantes pour l’avenir de la race. Ainsi, un cahier des charges a été défini pour poser les règles d’élevage et de mise en marché : biodiversité, circuits-courts, empreinte carbone etc. L’association organise ainsi des Conseils d’Administration (CA) afin de cadrer l'ensemble de ces mesures et de planifier les projets à venir. La fédération fait aussi partie d’un organisme plus large de préservation des races bovines françaises : Les Races Bovines Locales À Très Faible Effectif. Une structure qui regroupe quelques races telles que la Ferrandaise ou encore la Gasconne et gagne ainsi en poids et en visibilité.
La force de l’association mirandaise réside également dans son partenariat avec le lycée agricole de Mirande qui constitue une véritable vitrine pour la marque s’adressant ainsi à de futurs éleveurs de la région.
Agrovadrouille qui assiste au conseil d'administration de la fédération interdépartementale de la race Mirandaise
Développer l’image de la race, un travail de longue haleine
“Avec l’asso, on a fait un boulot de dingues depuis quelques années pour remettre cette viande dans les étales des boucheries !” (Mathieu Roumat)
La première étape a été de re-développer les troupeaux à l’échelle du département afin de gagner en légitimité. De quelques centaines il y a une vingtaine d'années, le nombre total de la race s’élève maintenant à plus de 1000 bêtes. La stratégie de développement s’est ensuite beaucoup basée sur la communication. “Il faut faire connaître la race”.
Désormais, l’association se présente chaque année sur différents salons comme le célèbre Salon International de l’Agriculture à Paris ou encore au sommet de l’élevage à Clermont-Ferrand. En participant à ces événements, le nom de la race voyage et l’image de marque se développe davantage.
Quelques projets phares de développement !
Si il y a bien un projet qui a permis de remettre La Mirandaise au cœur de l’attention, c’est la quinzaine de la Mirandaise ! Cette idée est un véritable coup de comm’ réalisé chaque année par l’asso. Le principe est simple, réunir le maximum de bouchers et d’éleveurs du Gers à coopérer ensemble pour proposer de la viande Mirandaise durant 15 jours. Sur cette durée, la race bénéficie d’un véritable coup de projecteur auprès du consommateur. Ce projet participe au développement de l’image de marque et également à gagner toujours plus la confiance des bouchers, confiance qui rassure les éleveurs et futurs éleveurs à croire en la race.
Affiche publicitaire de la quinzaine de la Mirandaise
Dans la même veine, le nouveau projet dans les tuyaux de la fédération vise à prouver scientifiquement la qualité bouchère de la race. Du nom d’Occi’carn, l’idée serait de réussir à quantifier une chose bien souvent qualitative et verbale : le “persillage” de la viande. Un critère gustatif de choix auprès des bouchers, restaurateurs et consommateurs. Très développé sur la viande de Mirandaise, une fois avéré comparé à d’autres viandes, il pourrait assurer une vraie plus value à la race. C’est grâce à une nouvelle technologie d'échographie de la vache durant son engraissement que le persillage pourrait être ainsi quantifié.
Depuis quelques décennies et grâce à un travail de géant par l’association et ses éleveurs, les feux commencent à s’allumer au vert pour cette race exceptionnelle et il ne manque plus qu’une chose pour répondre à la demande grandissante : plus de Mirandaises !
Mathieu Roumat incarne l’histoire d’un passionné qui se lève chaque jour par amour pour la race de son territoire. Un éleveur qui a pris le risque de repartir à zéro et qui a réussi à construire un modèle d’élevage robuste, avec de réelles valeurs telles que le bio ou le local. Mathieu et ses confrères nous offrent une vision inspirante de la production et de la consommation de viande, à une époque où ces enjeux sont au cœur des débats. Face à la crise environnementale et aux excès de production bovine dans le monde, il est plus que jamais essentiel de privilégier une consommation locale, de qualité et occasionnelle.
Privilégions donc la 4L à la formule 1 ;)